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Je vis puisque tu m'aimes
25 mars 2011

Le Comte de Molignat se tenait à l’écart de la


         Le Comte de Molignat se tenait à l’écart de la foule bien que sa place se devait d’être devant.

         Le cercueil était maintenant descendu dans la fosse et Amélie, la veuve se tenait dans l’allée avec ses quatre enfants pour recevoir les condoléances des villageois et des amis venus des environs. Germain Gaton qu’on venait de mettre en terre était connu pour sa gentillesse, son dévouement, son sens de l’honneur et du travail. Epoux fidèle, père modèle, ami véritable, tel était ce brave Germain arraché à l’âge de quarante ans de manière tragique à l’amour des siens. Le curé du village, le Père Tarin, n’avait pas manqué de le rappeler dans son homélie et l’assemblée silencieuse et affectée avait opiné gravement.

         La Comtesse et quelques Dames de charité se tenaient près d’Amélie qui ne paraissaient pas les voir. Elle restait immobile, figée dans sa tenue de deuil, sa voilette remuait plus au gré du vent qu’à ses mouvements de tête quand elle répondait un faible merci à la foule de gens qui, en procession, un par un lui prenait la main pour la réconforter. Son autre main était tenue fermement par son fils aîné, Benoît, un grand gaillard de quinze ans qui ressemblait à son père. C’est de lui que le curé était venu parler la veille au soir au château. Le Comte l’examina comme il s’approchait. Le portrait de Germain ! En plus jeune bien sûr, mais même visage rond, serein, même regard profond et tranquille, même stature impressionnante.

         Le Comte à son tour prit la main qu’Amélie tendait mollement, et serra les petits doigts fins entre les siens dans l’espoir de ramener un peu de vie dans ce corps éteint. Mais rien, n’y fit, Amélie n’était plus qu’un fantôme noir et fluet déjà de trop dans ce monde qui, enterrement terminé, allait reprendre très vite sa routine quotidienne.

         Le Comte Henri de Molignat devait de se différencier des autres dans les moments graves que connaissait le village. Il ne pouvait se contenter d’une simple poignée de mains, il devait ajouter quelques mots :

- Madame, murmura-t-il, la Comtesse et moi-même sommes vos obligés ! N’hésitez pas à faire appel à nous en cas de besoin. Le Père Tarin peut servir d’intermédiaire, si vous hésitez à monter jusqu’au château.

- Merci ! répondit Amélie de la même voix mécanique que pour les précédents.

 

         Il n’était pas sûr qu’elle ait reconnue son interlocuteur lequel fit un pas en avant pour s’arrêter à hauteur du fils aîné :

- Je t’attends demain au château en début d’après-midi !

Le ton ne demandait pas de réponse, c’était un ordre et c’est ainsi que Benoît le comprit.

 

         Le Comte venait de se ranger à la sollicitation du Curé. Il connaissait bien Germain lequel était venu plusieurs fois effectuer quelques travaux au château. Maçonnerie, terrassements, toiture il y avait du génie dans ses doigts et le travail ne lui faisait pas peur. Il avait aussi une conversation intéressante ce qui changeait de la Comtesse laquelle ne parlait plus depuis trois ans. Le Comte connaissait aussi Amélie, jusqu’alors joli petit bout de femme, douce et vive, charmante et rieuse au frais visage qu’encadraient de sauvages mèches blondes qu’il apercevait le dimanche à la Messe et dont la belle silhouette insaisissable, emplissait la conversation des hommes le soir à la taverne.

         Privé de son Germain, Amélie aurait besoin d’aide financière pour elle et ses quatre enfants et le Père Tarin avait proposé au Comte d’embaucher Benoît pour travailler dans le parc du château et s’occuper des jardins que la Comtesse délaissait depuis son étrange maladie.

         Le Comte n’avait pas répondu il venait de se décider à la vue de cette pauvre Amélie, hier source vivante de beauté et de gaieté, aujourd’hui spectre errant dans les couloirs du temps.

 

         Benoît pour son entrevue avec le Comte se fit accompagner par le Père Tarin sur les conseils de sa Mère qui ne voyait pas d’un bon œil son fils fréquenté les  «  gens du château «. Elle parlait d’eux avec le même ton qu’elle employait pour parler des ivrognes, des fainéants, des mécréants, des gens de la ville ou de ceux de passage : ce n’était pas son monde, elle les évitait autant qu’elle le pouvait..

 

         L’affaire fut rondement menée. Il fut entendu que Benoît travaillerait tous les après-midi à l’entretien du parc et à la remise en état du jardin. Le printemps s’annonçait et avec lui une foule de travaux urgents. Le matin Benoît continuerait de se rendre au collège de la ville d’à côté où ses études donnaient grande satisfaction à ses professeurs. Benoît se destinait à la Médecine au grand dam du Père Tarin qui voulait le pousser vers le séminaire. Le salaire proposé par le Comte était plus que généreux, Benoît ne trouva rien à redire.

 

         Il commença dès lendemain. Il se levait tôt pour aller au collège revenait déjeuner puis montait au château où il travaillait jusqu’aux vêpres. Puis le printemps arrivant,  Benoît se priva de vêpres. Le jardin était exigeant mais il y prenait du plaisir et très vite on vit lever quantité de fruits et légumes sagement alignés dans des rangées impeccables. Chaque fin de semaine, il recevait son salaire qu’il ramenait, fier et heureux à sa mère

         Il travaillait seul et ne perdait pas de temps. Au début, le Comte surveilla son travail se permettant quelques conseils mais très vite il réalisa que le jeune homme en savait plus que lui sur la science du jardinage. Il se contenta alors de passer le voir en fin de journée mais contrairement à son père, Benoît parlait peu. Il saluait son bienfaiteur mais ne cessait pas son travail. Le Comte comprit vite que malgré ses largesses, Benoît se méfiait de lui.

         La personne que Benoît voyait le plus souvent était Blanche, la gouvernante. Tous les après-midi elle lui apportait un goûter et restait causer cinq minutes avec lui. Benoît la connaissait, elle avait une maison dans le village et après avoir élevé ses enfants, six garçons, elle avait accepté la proposition du Comte et était venue s’installer au château pour s’occuper de la Comtesse. C’était une personne vive, drôle, pleine de bons sens, énergique et autoritaire, elle rabrouait la Comtesse quand celle-ci se laissait aller à trop de langueur. Elle, Benoît ne la voyait pratiquement pas. Elle ne sortait jamais du château sauf pour prendre le soleil l’après-midi sur la terrasse. Jamais elle ne faisait les quelques pas qui la séparaient de son jardinier pour venir voir son travail. Benoît se rappela qu’elle ne parlait plus depuis trois ans. Il avait essayé de savoir pourquoi en questionnant Blanche mais celle-ci lui avait fait comprendre que c’était un sujet à ne pas aborder au château. Benoît se prit d’affection pour la Comtesse silencieuse, car elle ressemblait un peu à sa mère.

 

         Il y avait quelque chose d’étrange dans le parc du château, un fait inexplicable, un rosier qui ne perdait jamais ses fleurs quelle que soit la saison. Il arborait en toute circonstance de magnifiques roses d’un rouge feu qui provoquait la jalousie des meilleurs jardiniers de la région. Ce mystère était apparu trois ans plus tôt comme la maladie de la Comtesse. Là-dessus, Benoît devina aussi qu’il ne fallait pas poser de questions. Le rosier ne perdait jamais ses fleurs, point final. Même le Curé l’admettait sans faire de commentaires.

 

         C’est aux beaux jours de mai que Benoît aperçu pour la première fois le visage à la fenêtre. C’était une tête blonde, au teint pâle avec de grands yeux clairs. Une fille, assurément. Elle observait Benoît à son travail mais disparaissait quand ce dernier la regardait avec trop d’insistance. Elle ne se montrait qu’en milieu d’après-midi souriait gentiment et au fil du temps sembla s’accoutumer à la présence du jeune jardinier. Elle ne se cachait plus, le regardait en souriant et lui faisait des petits signes avec une main blanche, fine et fragile.

         Benoît ne s’était jamais posé la question de savoir si le Comte et la Comtesse avaient des enfants. Ils vivaient assez retiré, ne fréquentaient pas le village, sauf l’église et se servaient du Curé pour distribuer leurs bonnes œuvres.

         Plus les jours passaient et plus la jeune fille s’enhardissait à sa fenêtre. Benoît s’amusait à la faire rire et il voyait ses bouclettes blondes danser autour de son visage. Il lui semblait l’avoir déjà aperçue. Sans doute à la Messe avec le Comte et la Comtesse mais Benoît ne l’aurait pas affirmé.

 

         Il s’en ouvrit un jour à Blanche :

- Qui est cette jeune fille que j’aperçois de temps en temps à la fenêtre là-haut ?

La question laissa Blanche frappée de stupeur. Livide, elle dévisagea Benoît.

Elle parvint à répondre :

- Il est impossible que tu puisses voir quelqu’un à cette fenêtre, souffla-t-elle. … Personne n’habite au château à par la Comtesse son époux et moi-même.

- Mais pourtant, je vous assure ….

- Tais-toi, mon gars ! … Garde tes visions pour toi,  ça vaudra mieux pour tout le monde !

 

         Benoît se le tint pour dit, la sortie de Blanche valait une sommation sans appel. Il questionna sa mère qui lui apprit que le Comte et la Comtesse avaient effectivement une fille mais qu’elle souffrait d’une grave maladie  et qu’on la soignait à Paris dans un établissement dont elle ne pouvait sortir. Le Curé fut plus évasif et tenait la même position que Blanche :

- Ce ne sont pas des questions à poser, Benoît ! … Et mets donc un chapeau sur ta tête quand tu travailles au jardin. Tes visions disparaîtront d’elles-mêmes !

Le jeune homme se garda de préciser au Père Tarin qu’hiver comme été il avait toujours un chapeau sur le crâne.

 

         Un jour, vers la fin juin, alors que Benoît voyait maintenant tous les jours la jeune fille à sa fenêtre pendant plus d’une heure, le Comte le fit appeler au château. Blanche l’introduisit au salon, pièce richement meublée, dans laquelle Benoît n’était jamais entré. Les châtelains l’attendaient souriants. Le Comte debout près de la cheminée éteinte, son épouse enfouie dans un fauteuil bien trop large pour elle. C’était la première fois que Benoît la voyait d’aussi près ! C’était une femme très jolie, que la tristesse qui se lisait au fond de ses yeux embellissait. Elle salua Benoît d’un gracieux sourire.

         Le Comte fut direct. Le travail de Benoît était très satisfaisant il avait mérité une augmentation. De plus, le Comte s’engageait à financer ses études de médecine que le jeune homme devait attaquer début octobre.

Ils burent un cognac pour fêter ces décisions. Le visage de la Comtesse s’animait un peu.

Cette joie chaleureuse dura peu. Les yeux de Benoît venaient de se poser sur un portrait accroché au mur représentant une jeune fille, une enfant. C’était à n’en pas douter la même que celle qui apparaissait à la fenêtre. Benoît s’écria en montrant le tableau du doigt :

- Mais c’est elle ! …. Mais oui !

Il se leva pour se poster sous le portrait :

- Je la reconnais, dit-il avec enthousiasme.

Le Comte prit un visage sévère et s’approchant de Benoît il demanda :

- Qui reconnaissez-vous, Benoît ?

- Cette jeune fille ! C’est celle que j’aperçois les après-midi à sa fenêtre !

 

A ces mots la Comtesse s’évanouit dans son fauteuil, le Comte hurla :

- Mais qu’est-ce que c’est que ces idioties, Benoît ? Regardez ce que vous avez fait ! … Blanche ! Blanche ! cria-t-il.

La gouvernante entra aussitôt et se précipita vers la Comtesse :

- Madame, madame appelait-elle en lui tapotant la main

 

         Le Comte attrapa Benoît d’une main ferme et le ramena sous le portrait :

- Vous savez qui est-ce ?

- Non, répondit le jeune homme décidé à tenir tête au Comte.

- Aurore, ma fille ! … Et vous savez où elle se trouve aujourd’hui ?

- A Paris, m’a-t-on dit !

- Non ! Elle est au cimetière depuis trois ans !

- Impossible, ricana Benoît, je la vois tous les jours à la fenêtre du haut.

- Quelle fenêtre ?

 

         Benoît expliqua tout au Comte qui entra dans une grande colère. Il poussa de force le jeune homme à l’accompagner dans la chambre où se trouvait la fameuse fenêtre. C’était bien celle d’Aurore, décédée trois ans plus tôt. Une poussière recouvrait le lit, les meubles, le sol. Impensable que quelqu’un pouvait vivre ici. Le Comte menaçait  maintenant de s’en prendre à Benoît si ce dernier persistait dans ses racontars et plus le Comte hurlait plus le jeune homme s’énervait.

Le Père Tarin arriva au beau milieu de l’évènement. Il se fit expliquer la chose et demanda à Benoît où exactement il voyait la jeune fille. C’était dans le coin droit, le jeune homme précisa que souvent elle s’amusait à se dissimuler derrière le rideau. Ils s’approchèrent tous les trois de la fenêtre ; sur la vitre couverte de poussière et de buée un petit rond propre et net s’étalait à hauteur d’un visage, comme si quelqu’un avait soufflé dessus depuis peu. Ils se dévisagèrent en silence jusqu’à ce que Benoît, un sourire triomphant sur les lèvres, annonce :

- J’ai raison !

- Impossible rétorqua le Curé. Aurore est enterrée, c’est moi-même qui ai procédé à la cérémonie.

Le Comte se mit à vociférer en s’en prenant au jeune garçon :

- C’est toi imbécile qui viens de souffler sur cette vitre.

Benoît fit un saut de côté pour éviter la main du Comte :

- Non ! protesta-t-il énergiquement, c’est faux !

 

Le Comte l’empoigna par l’épaule en criant :

- Tu veux la voir Aurore ? … Et bien je vais te la montrer !

Il l’entraîna de force, le poussa dans l’escalier, le tira jusque devant le château et l’obligea à monter dans sa calèche. Le Curé suivait en appelant au calme. Benoît avait beau être en avance physiquement et de loin le plus costaud des garçons de son âge, il savait qu’il ne pouvait lutter avec le Comte de Molignat taillé comme un colosse. Et il était curieux de connaître la suite de l’histoire. Il se tassa au fond de la banquette avec le Père Tarin tandis que le Comte après s’être débarrassé de son cocher d’un revers de main menait sa calèche grand train.

         Leur arrivée au village fit sensation. Après avoir remonté la grand rue le Comte arrêta ses chevaux devant le cimetière et tirant Benoît par le bras jusque devant une petite tombe discrète, sans nom, ornée juste d’un petit bouquet de bleuets.

- Aurore, ma fille, est ici depuis trois ans ! Le Curé pourra te le confirmer ! Pour des raisons qui nous sont personnelles, nous n’avons pas jugé bon de divulguer son décès à tout le monde. … C’est bien rentrer dans ta petite tête ? … Aurore est morte, morte et enterrée ! … Alors dis nous maintenant pourquoi as-tu inventé toute cette histoire ! … Et vite !

Du regard Benoît défia le Comte :

- Je n’ai rien inventé du tout ! La jeune fille que je vois à la fenêtre est bien vivante !

- Bougre de crétin ! hurla le Comte en se précipitant sur lui. Je vais te briser les reins !

Il l’aurait fait si des villageois attirés par le tapage ne s’étaient pas mis entre les deux hommes.

Le Curé s’avança à son tour :

- Benoît,  mon garçon, reconnais que Monsieur le Comte a raison ! Il n’y a plus de jeune fille au château depuis longtemps et personne n’est entré dans la chambre d’Aurore depuis sa mort !

 

Le jeune homme se tourna vers le Père, le visage livide, le regard emplit d’inquiétude. Puis il laissa aller ses yeux sur la petite assemblée qui attendait qu’il confirme les paroles du Curé.

Benoît ne dit rien ! Il s’écroula sur la tombe et se mit à pleurer à chaudes larmes.

La foule prit cette attitude pour un aveu.

- Désormais, trancha le Comte, ne parait plus devant mes yeux ! Il en va de ta vie !

 

         Tous sortirent du cimetière laissant Benoît en pleurs allongé sur la pierre tombale sous laquelle gisait Aurore. Il ne sut combien de temps il resta ainsi à pleurer mais il s’arrêta quand il sentit une présence derrière lui. Il redressa la tête et aperçut un petit vieux appuyé sur une canne qui le regardait avec un étrange mais gentil sourire :

- Hé bien, mon gars, ça n’a pas l’air d’aller !

Benoît ne répondit pas.

- Un cimetière n’est pas un endroit pour toi quand on a ton âge ! … Pourquoi pleures-tu sur cette tombe ?

        

         Les paroles du vieillard étaient merveilleusement douces, Benoît eut confiance. Il raconta son histoire, le vieil homme l’écouta amusé.

Quand Benoît eut terminé son récit il demanda :

- Tu penses que la jeune fille que tu vois à la fenêtre c’est Aurore, la fille du Comte ?

- Oui, le portrait est très ressemblant ! De plus, je me rappelle où je l’ai déjà rencontrée, il y a quelques années.

- A l’église ?

- Non, à l’hôpital, pendant une visite de charité. J’accompagnais notre Curé.

 

         Benoît s’en souvenait parfaitement maintenant. Il servait d’enfant de choeur au Curé qui distribuait la communion aux malades. Quand il aperçut à l’écart, allongée sur un brancard, une petite fille blonde qui attendait qu’on la transporte en salle d’opération. Il s’était approché d’elle, elle était immobile, les yeux fixés au plafond, plus blanche que le drap qui la couvrait. Benoît cinq ou six ans plus tard revoyait son visage à la perfection. Elle ressemblait à la Comtesse, il n’y avait maintenant aucun doute. Benoît s’était penché sur elle et avait demandé en murmurant :

- T’as mal ?

Elle avait tourné sa petite tête gracieuse vers lui et lui avait adressé un joli sourire qui illumina le jeune garçon.

Elle avait hoché la tête tristement.

- Tu souffres beaucoup ?

Elle avait refait le même geste.

Benoît prenant alors sa main avait déclaré d’une voix nette:

- Donne-moi ta souffrance !

Le sourire de la jeune fille s’était accentué, ses yeux avaient couvert Benoît d’une vive reconnaissance et d’une sincère affection tandis que le jeune garçon pressait fortement ses doigts dans l’espoir que la douleur change de corps. Puis des hommes en blanc étaient intervenus à grands cris, avaient dégagé Benoît sans ménagement et emporté la jeune fille derrière une porte. Il ne devait plus jamais la revoir.

 

Le vieil homme écouta Benoît avec importance :

- Tu es un bon garçon, dit-il avec une réelle admiration. … Tu crois vraiment que cette jeune fille n’est pas ici dans cette tombe ?

- Je ne le crois pas, j’en suis certain ! affirma le jeune garçon

- Dans ce cas, retourne à l’endroit où tu la vois !

- Au château ? Impossible, le Comte m’en a chassé.

Le vieillard eut encore son sourire étrange :

- Allons, ne me dis pas que tu ne connais pas de moyen d’entrer au château sans que le Comte le sache !

Benoît sourit à son tour. Sa peine s’était envolée. Aurore vivait là-bas, le Comte était un menteur, il saurait bien le prouver.

- Vous avez raison, dit-il, merci pour le conseil. J’y cours immédiatement !

 

         Il détala à grands pas, le curieux petit bonhomme le regarda partir,  un sourire sur les lèvres.

Si Benoît s’était retourné il aurait vu alors le vieil homme se défaire de sa carapace humaine et de s’envoler au ciel en agitant ses ailes blanches.

 

         Il attendit la nuit pour pénétrer dans le parc. Il se posta près du rosier mystérieux et resta une heure à guetter la fenêtre mais nul ne vint. Bien décidé à poursuivre ses investigations, il pénétra dans le château par une porte qu’il savait n’être jamais fermée. A l’intérieur, il trouva facilement son chemin et arriva sans bruit dans ce qui fut la chambre d’Aurore. Elle était vide, rien n’avait bougé depuis l’après-midi. Il s’approcha de la fenêtre, le petit rond clair était toujours visible. Par-dessus, avec son doigt, Benoît dessina un cœur.

Puis il rentra chez lui sans encombre.

 

         Le lendemain soir, il revint de la même façon et comme nul n’apparaissait à la fenêtre il remonta dans la chambre. Là, il resta saisi d’étonnement. Sur la vitre un autre cœur s’entrelaçait avec le sien, un cœur assurément dessiné par un doigt très fin.

 

         Dix jours passèrent ainsi ! Chaque soir Benoît venait dans le parc mais la fenêtre restait désespérément vide et dans la chambre rien ne changeait, le double cœur trônait toujours sur sa vitre !

         Il se murmurait que la Comtesse allait très mal, les révélations de Benoît n’avaient fait qu’empirer son état, on craignait désormais pour sa raison. Le Curé venait la voir tous les jours et en ressortait attristé.

        

         Le onzième soir, en pénétrant dans le parc Benoît entendit rire. Il sursauta et se dissimula derrière un arbre. C’était un rire d’enfant, un rire clair, joyeux, un rire qu’on n’entendait plus ici depuis longtemps. Il aperçut une étrange lueur près du fameux rosier et soudain s’entendit appeler :

- Benoît ! Benoît ! … Viens, je t’attends ! … Viens t’amuser avec moi !

Ce ne pouvait être qu’Aurore. Il sortit de sa cachette et s’approcha, guidé par la clarté tremblotante. Comme il était tout près, la lumière s’effaça et le rire retentit de nouveau mais semblait s’enfuir dans le parc comme s’il invitait Benoît à le suivre.

         C’était un jeu ! Il entendait Aurore mais il ne la voyait pas. Elle l’entraîna ainsi dans une partie de course poursuite qui dura plusieurs minutes quand Benoît se retrouva au bord d’un large étang. Au milieu se trouvait une petite île entièrement couverte d’un énorme saule pleureur. La lumière réapparut sous les branches et de nouveau Aurore l’appela :

- Je suis là, Benoît, sous le saule ! riait-elle.

- Comment veux-tu que je t’attrape, répondit-il. En plus, je ne te vois pas ! Je ne sais même pas si tu es vivante !

- Viens, répéta-t-elle ! Je t’attends !

- Es-tu vivante au moins ? questionna Benoît avec une légère inquiétude.

- Est-ce que tu m’aimes au moins ? demanda-t-elle amusée.

- Oh oui ! s’écria-t-il. Depuis le jour où je t’ai vue à l’hôpital !

- Tu t’en souviens ?

- Bien sûr, comme si c’était hier !

- Tu avais été très gentil ce jour là, dit-elle après un petit silence ; … très bon et très généreux ! Nul ne peut oublier un geste comme le tien.

- Es-tu vivante oui ou non ? répéta Benoît.

- Je vis, mon cher Benoît, … je vis puisque tu m’aimes !

- Alors pourquoi ton père prétend que tu es morte ?

Elle rit doucement avec gentillesse :

- Les grandes personnes ont perdu leur âme d’enfant ! Il y a des tas de choses qui leur échappent. Ce n’est pas de leur faute. … Regarde ma pauvre maman, muette depuis qu’elle me croit au cimetière et très malade depuis que tu lui as annoncé que tu me voyais tous les jours ! Ce n’était pas prudent de parler ainsi, mon pauvre ami !

Elle éclata de rire, et Benoît perçut nettement qu’elle s’amusait de lui.

- J’ai du la veiller jour et nuit, reprit-elle, voilà pourquoi tu ne m’as pas vue ces derniers temps. Maintenant elle va mieux et va vite guérir. Je crois qu’elle commence à comprendre ….

- A comprendre quoi ?

- Ne t’inquiète pas de cela, Benoît. … Viens donc me rejoindre si tu m’aimes vraiment !

- Comment veux-tu que j’aille sur l’île ? Je ne sais pas nager et il n’y a pas de barque.

- Marche sur l’eau !

Benoît se mit à rire :

- Marcher sur l’eau ! Mais c’est impossible.

Elle parut déçue et répliqua d’un ton dépité :

- Toi aussi tu ne comprends rien, mon pauvre Benoît !

 

         Le silence se fit soudain entre eux, un silence pesant. Benoît sut qu’il avait commis une erreur mais laquelle ?

- Que veux-tu que je comprenne ? demanda-t-il avec douceur.

- Viens ici, je te le dirai !

- Comment ? En marchant sur l’eau ?

- Oui, je te l’ai déjà dit !

- Tu crois que je peux y arriver ?

- C’est à toi de le croire, pas à moi !

 

         Alors Benoît s’avança dans l’eau jusqu’à mi-taille. Il s’arrêta, hésitant :

- Dépêche-toi ! le supplia Aurore. … Si tu m’aimes tu dois le faire !

- Oh oui, je t’aime !

 

         Bienb sûr qu’il l’aimait, il n’y avait aucun doute là-dessus. Benoît revint sur la rive, et prenant son élan il partit sur l’eau en courant.

 

 

         Deux jours plus tard le corps de Benoît remonta à la surface. Tout le village le cherchait depuis sa disparition et à la nouvelle de son décès, la colère éclata. Le Comte fut accusé de meurtre. La mort cachée de sa fille, l’étrange maladie de la Comtesse, le rosier toujours en fleurs et maintenant la mort de Benoît que le Comte avait menacé devant témoins, cela dépassait la mesure ! La foule en furie vint jeter des pierres sur les fenêtres du château, on incendia une écurie, on molesta ses gens et il fallut toute la patience et l’autorité du Curé pour que tout le monde reprenne ses esprits.

         Une enquête prouva rapidement l’innocence du Comte dans la noyade de Benoît.

 

         C’était l’heure de l’enterrement de Benoît. Au bas de son perron, le Comte de Molignat attendait son épouse qui tardait à le rejoindre. Il s’impatienta et gravit les marches quatre à quatre pour aller la chercher. Il la trouva dans le salon, assise dans un fauteuil, elle lisait tranquillement.

- Mais ma pauvre amie, s’emporta le Comte, l’enterrement de Benoît ! Nous sommes déjà en retard, hâtez-vous !

Elle le regarda avec étonnement et à la stupéfaction du Comte, elle ouvrit la bouche pour répondre :

- Ah oui, cet enterrement ! Allez-y sans moi !

On ne sait ce qui surprit le plus le Comte ; que sa femme parle à nouveau ou bien qu’elle ne veuille pas se rendre aux funérailles de Benoît.

- Mais vous n’y pensez pas ! On nous attend à cet enterrement ! Que diront les gens ?

- Ils diront ce qu’ils veulent ! Je ne vais pas à cet enterrement parce que le cercueil de Benoît est vide tout comme est vide la tombe de notre fille !

- Folle ! s’écria  le Comte ; elle est folle à lier !

         Il quitta le château rapidement pour se rendre à l’église.

 

         La nuit était avancée quand le Comte entendit son épouse bouger dans la chambre voisine de la sienne. Quand il était revenu de l’enterrement il l’avait trouvé d’humeur joyeuse, parlant, chantant, comme aux premiers temps de leur amour. Et elle avait bien toute sa raison. Le Comte ne comprenait plus rien.

Sa porte grinça, elle sortait de sa chambre, il se décida à la suivre.

Elle pénétra dans la chambre d’Aurore et se posta à la fenêtre, à l’endroit même où Benoît quelques temps plus tôt voyait une tête blonde.

 

         Dehors, dans le parc, sous une lune magnifique, près du rosier en fleurs retentissaient des rires francs et joyeux. La Comtesse laissa son regard courir d’arbustes en buissons, d’allées en massifs, et souriait aux anges.

Le Comte, intrigué, passa son nez par-dessus l’épaule de son épouse et scruta à son tour le parc plongé dans la nuit. En vain !

- Mais que voyez-vous, mon amie, à la fin ? s’impatienta-t-il.

- Rien, répondit la Comtesse ; absolument rien, mais je sais qu’il y a quelque chose.   

 

 

 

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  • Après le décès de son Père qui travaillait comme jardiner au chateau du Comte Molignat, Benoit reprend sa charge. Au chateau vit la Comtesse mystérieusement muette depuis trois ans, depuis l'étrange disparition de sa fille Aurore. Mais Aurore est-elle mo
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